Portrait – Jean, le « petit prince » de Stains

À 92 ans, un des doyens de la ville n’a jamais perdu son âme d’enfant. Sur terre ou dans les airs, sa bonhomie, son empathie et sa générosité ont touché des générations de Stanois. De passage à la rédaction de Stains actu, il revient sur quelques fragments de sa vie.

© Dragan Lekic

Jean Champagnat, Stanois depuis toujours – il a passé toute sa vie dans la maison familiale, rue Jean-Jaurès – est en quelque sorte la « mascotte » de bon nombre d’habitants qui ont tous mille anecdotes à son sujet. Et sa renommée a récemment dépassé le cadre de notre ville. Il a, en effet, fait le buzz sur internet ces dernières semaines à la faveur d’une pancarte portée fièrement lors d’une manifestation contre la réforme des retraites. Celle-ci indiquait ses « faits d’armes » :« 92 ans, 1936 : congés payés, 1945 : Sécu, 2023 : retraite à 60 ans ».

Le principal concerné hausse les épaules « je n’ai pas d’ordinateur ! » Il est en revanche plus prolixe s’agissant de la première manifestation à laquelle il a participé. « En 36, j’étais sur les épaules de mon père. On était parti du Globe et c’était rempli de monde jusqu’au 6 Routes, avec des drapeaux partout ! » C’est ainsi que l’on a remonté le temps dans la fabrique à mémoires de Jean.

PASSIONNÉ D’AVIATION
Avec son éternel béret noir béarnais vissé sur la tête, son regard perçant et son débit mitraillette, Jean ne passe pas inaperçu. Toutes les personnes qu’il a côtoyées sont unanimes : c’est un être à part. Peut-être vient-il d’une autre planète comme le personnage de la nouvelle de Saint-Exupéry, lui qui n’a eu de cesse de prendre les airs à bord de toutes sortes d’engins : ballons, planeurs, avions, ULM, montgolfières, hélicoptères… « J’aime bien être là-haut, on voit tellement de choses… Le vol, c’est formidable ! »

Pour les plus anciens, Jean est celui qui a fait passer le baptême de l’air à des dizaines de Stanois. « J’ai connu l’aviation populaire, avec un billet de 5 francs en poche, hop ! C’était beaucoup plus accessible à mon époque… » Il possédait déjà son brevet d’aviateur avant même d’entrer dans l’armée, en Algérie, dans les années 50. Mais attention ! Il précise tout de suite : « Je n’ai pas fait la guerre, je suis parti en 52 ! ». Il poursuit : « On m’a rappelé pour l’Indochine mais j’y suis pas allé, hein ! »

QUAND UN ANCIEN DISPARAIT, C’EST UNE BIBLIOTHÈQUE QUI BRÛLE
Lorsque l’on ouvre la boîte à souvenirs de Jean, l’occupation allemande occupe une place importante. Il connaît chaque recoin de la ville touché par les impacts de balles pendant la Libération. Un éclat d’obus a même abîmé sa maison, il raconte : « Ma mère a vu au loin un avion en flamme rebondir de toit en toit et elle s’est précipitée sur moi ».

Au quotidien, Jean explique que « les Allemands pratiquaient le travail forcé » avant de sortir le carnet de commande de sa mère brodeuse au fil d’or. « À 13 ans, je suis allé livrer le tressage du képi au Maréchal, rue du Louvre à Paris ».

De sa boîte aux trésors, il nous montre quelques échantillons confectionnés par sa mère, étonnamment bien conservés et des pièces d’époque, tel un vieux journal ou encore une photographie de la Libération de Stains sur laquelle on le devine.

De ses mille vies dont seulement un fragment est évoqué dans ces lignes, Jean en retire la satisfaction d’avoir su « en faire profiter les autres ».

Son seul regret, outre de ne plus pouvoir voler, c’est sa cataracte qui l’empêche de pouvoir lire, lui qui avait monté une bibliothèque dans son usine où il exerçait en tant que tourneur-ajusteur et qu’il a laissé « avec plus de 2 500 livres ».

Un mot pour finir Jean ? « Aux jeunes, je leur dirais « démerdez –vous ! »… Mais on les accompagnera quand même ! »

• M.B.

Voir aussi